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Blocage dans le canal de Suez

7 Avril 2015 , Rédigé par Daniel Guimond Publié dans #Histoire

Orly, 19 aout 1969, la caravelle d’air France décolle pour le Caire.
Mon futur embarquement sur le Sindh ne ressemble en rien à ceux que j’ai connu jusque là.
Quatre mois à bord d’un cargo au milieu d’un lac sans pouvoir espérer mettre les pieds à terre.
Après le survol du canal de Corinthe, une courte escale à Athènes et c’est Le Caire ou un agent de la compagnie m’attend.

Arrivée en Egypte Du Caire au grand lac Amer

Après la traversée de cette ville bruyante et de ses faubourgs.
je découvre l’hôtel Cléopâtre, ancien palace Anglais défraichi ou je devrai attendre l’autorisation de mon transfert à bord.
Je suis un peu perdu dans cette immense bâtisse, ou je fais la connaissance de Hans, électricien Allemand qui attend déjà pour rejoindre son bateau, le Nordvin, qui fait lui aussi partie des quatorze cargos prisonniers dans les lacs Amers.
Courte attente, car le lendemain matin nous prenons la route pour Ismaïlia.
Nous longeons le canal Ramsès, ou deux Egyptes se côtoient.
Ancienne, avec ses bateaux d’un autre âge, ses cultures maraichères, ses bourricots trottinant, et l’autre , moderne et ses voitures, camions et véhicules militaires de plus en plus nombreux à l’approche des premiers postes d’Ismaïlia.
Une attaque de l’aviation Israélienne nous impose un arrêt, avant de prendre la route de Fanara.
Les militaires sont nerveux, et nous obligent à rester dans la voiture. Je suis surpris de voir quelques soldats Européens, des conseillers Russes sans doute.
Nous prenons enfin la route, traversant une contrée désertique, apercevant au passage plusieurs chars dans des fosses, recouverts de filets de camouflages.
Ce passage à terrain découvert a l’air de remplir d’inquiétude notre agent assis à coté du chauffeur, car il sort souvent la tête pour observer le ciel.
Nous arrivons enfin dans le petit village déserté de Fanara et ce qui devait être un petit port de pêcheurs.
Une vedette Egyptienne nous conduit à nos bords, ou dès la coupée franchie, j’ai l’impression d’arriver dans un autre monde.
D’un seul coup le grand calme, et surprise en découvrant mes onze futurs compagnons qui s’activent sur le pont autour de la baleinière : tous portent le même maillot en éponge rayé bleu et blanc !
Qui est qui, commandant, bosco, cuisinier ? Dans ma tenue « de ville » , je dénote un peu devant tous ces gens d’apparence si décontractée.
Les présentations sont rapidement faites, De Vals le commandant, Icardi le second mécanicien, Vidament le bosco, Rotella le cuisinier, Funk l’ouvrier, Chevalier l’électricien, Vérove le graisseur, Matéo et Huel les matelots, Combes le boulanger, et le garçons du commandant dont j’ai oublié le nom. Gustave Ferraud, que je remplace est reparti avec la vedette.

L’organisation à bord

Nous sommes en fin d’après-midi, et je reçois des explications sur l’organisation de la vie et du travail à bord, qui ne ressemble en rien à celle de mes précédents embarquements.
Avant toute chose je suis surpris quand Fanfan Rotella prend sommairement mes mensurations et me demande ma pointure de chaussures.
Encore plus quand il arrive avec des maillots en tissus éponges à rayures et plusieurs paires de tennis qu’il me fait essayer.
Les chaussures viennent des cales du Sindh, les vêtements de celles d’un cargo de la Blue Fannel, l’Agapennor…
Le second Icardi, mon chef, me donne deux tee short blancs ou se trouve inscrit au pochoir Great bitter Lake Association, une ancre de marine et le nombre 14 figurent au centre, entourés des lettres GBLA , la tenue des lacs Amers en somme.
Le repas est pris en commun sur une grande table installée à bâbord du panneau de la cale quatre, ce qui permet de voir l’arrivée des visiteurs par la coupée.
Le cuisinier est aidé dans son travail, par un boulanger qui fait aussi office de postal. Situation assez bizarre, le chef et le second sont servi par un garçon Comorien qui lui ne mange pas en même temps que nous.
Autour d’un bon repas préparé par Fanfan, on m’explique la répartition du travail à bord.
Un groupe électrogène tourne avec une charge réduite, sa surveillance est assurée par une garde de douze heures répartie entre l’électricien, le graisseur et l’ouvrier.
Toutes les interventions diverses d’entretien, réparations tant au pont qu’à la machine seront de mon ressort la journée.
Même chose pour le bosco qui assure l’entretien et le service sur le pont.
Les deux matelots assurent une garde de nuit de douze heures à la passerelle, celui qui reste disponible aidant le bosco sur le pont le matin.
Chose très importante, ils sont chargés de noter les tirs, bombardements, attaques d’avions dans un périmètre allant de Kabret au lac Timsah, ou se trouve un pétrolier Américain abandonné par son équipage.
Ces indications servaient à justifier les primes de risques quotidiennes, la première question au matelot descendant de la passerelle était toujours : est ce qu’ils ont tiré ?
Pour moi, travail à la machine le matin seulement, journée complète en bas en cas de travaux importants, les embarquements d’eau, gasoil, ou pour l’entraide entre services.
Je constaterai plus tard que les après midi sont bien occupées par le bricolage, l’entretien des embarcations, du moteur, et que travail et loisirs confondus ont une réelle importance pendant un tel séjour.
Astérix le canot est très sollicité pour les visites sur les autres bateaux, et Obélix la baleinière sort pratiquement tous les jours pour l’entrainement de la régate internationale du samedi.


Le tour du bord

Après ma première nuit à bord, un déjeuner sur le pont, ma première descente à la machine ou le second mécanicien (devenu chef) me fait faire le tour du propriétaire.
Le Dujardin tourne sans se fatiguer, la frigo, les groupes hydrophores, le four du boulanger, une plaque électrique du piano, un treuil de temps en temps pour monter les annexes, ces appareils ne fonctionnant pas en continu.
Pas très nette la bécane, la rouille sur les plaques de parquet, le sable amené par le vent est arrivé jusqu’ici, pas mal de ménage et de mise en ordre à faire, il n’y a pas de nettoyeur. Plus tard, suite à une visite du Nordvin et du Munsterland la vue de l’état de propreté de ces bateaux m’incitera passer tous les parquets au gasoil.
Ces deux bateaux sont les seuls à être rentrés en Allemagne par leurs propres moyens à la fin de la guerre.
Une visite complète de groupe est prévue pour chaque embarquement du maitre graisseur, mais mon prédécesseur à repoussé les dates et j’en aurai deux à faire, ce qui ne me dérange pas, j’aime travailler seul, surtout qu’ici il n’y a pas de contrainte de temps.
Il en sera d’ailleurs de même avec tous mes camarades pendant mon séjour de quatre mois.
A midi , un chaland, chargé de fûts de deux cents litres de gasoil nous accoste à tribord pour l’embarquement de combustible.
Transfert un peu long, mais sans risque de débordement, même en cas d’absence momentanée, désamorçage de la pompe tout au plus. Les Egyptiens ont une tendance à laisser du gasoil dans le fond des bidons (récupération, ils n’ont pas changé) et la surveillance est plutôt dirigée dans cette direction. (à suivre)

Blocage dans le canal de SuezBlocage dans le canal de Suez

Le Sindh prisonnier dans le Grand lac Amer, le quotidien d’un équipage de 12 hommes au jour le jour

Sortie
sur le lac à la voile

Première sortie à la voile sur Obélix, avec de Vals et Icardi.
Obélix, superbe baleinière à clins, avait été regrée en cotre, grande voile et deux focs sur bout dehors, un saumon rajouté à la quille, rendait le bateau plus raide à la toile, et c’est une ceinture de pompier qui servait pour le rappel.
S’il y avait un calme plat le matin sur le lac, l’après-midi, le vent montait et c’ètait un plaisir de naviguer à la voile.
Le vent forcissant dès le début du mois d’octobre, les sorties deviendront par la suite moins agréables.

Manœuvre du Sindh sur le lac

Le samedi matin était le jour ou la machine était balancée.
Une fois par mois, le bateau effectuait une sortie dans le lac, coté Egyptien, navigant entre les treize autres bateaux, à grands renforts de coups de sirène.
Le Sindh était le dernier cargo du groupe à pratiquer cette navigation.
Pendant la préparation de ma première de ces sorties, un incident mécanique avait reporté d’une semaine la balade.
Le compresseur d’air, le guindeau, les pompes à huile et eau douce et eau salée du MP imposant une charge supplémentaire, les GE avaient refusé de monter en puissance.
Les régulateurs à masselottes, qui travaillaient en permanence sur une plage très courte pendant la semaine avec une charge réduite, avaient eu leur déplacement limité par l’encrassement des dépôts de l’huile.
Une fois pourtant, nous avons fait deux balades à une semaine d’intervalle. le commandant De Vals avait voulu changer de mouillage, pensant trouver un meilleur lieu de pêche, mais devant le résultat décevant, et surtout la distance supplémentaire non négligeable pour nous rendre sur les autres bateaux (consommation d’essence) il nous avait ramené à notre ancien mouillage.

Régates sur le lac

Le samedi, après-midi, était le jour de régate de tous les voiliers de la flotte au mouillage, course tous bateaux confondus, chaloupes, canots, baleinières. L’arrivée d’un dériveur construit par le charpentier Allemand du Munsterland (Unicorne), bateau à marotte de type Fireball, très rapides, avait amené à faire des classes dans la course, et Obélix qui remportait régulièrement les régates avait du céder sa place de leader. Le plus gros voilier en course était la chaloupe du cargo mixte Port Invercargill, toujours dernière à qui il arrivait d’avoir un fut de vermouth Australien en perse sur le pont. Tous les essais avec les canots des lamaneurs, véritables Pitalugues furent décevants, ils étaient conçus surtout pour l’aviron.
Le dernier samedi du mois, avait lieu la grande régate et un bateau organisait alors une fête à son bord, ou tous les équipages étaient conviés. Les tables étaient dressées sur le pont avec des draps en guise de nappes blanches. La fête durait très tard dans la nuit et les retours à bord des bateaux étaient folkloriques, dignes des dessins de Jan Sanders.

La messe

Le dimanche matin était un jour important sur les lacs Amers.
La « messe » avait lieu sur le Munsterland, bateau Allemand, sous l’autorité du commandant Jurgens.
Ce nom de messe avait sans doute été donné à cette réunion dominicale en raison de la cloche qui sonnait pour appeler les « fidèles ».
Toutes les décisions relatives aux régates ou aux occupations communes y étaient prises, mais c’était aussi un lieu d’échange de tampons pour le courrier et de timbres élaborés sur les bateaux.
Moment de communication entre les équipages toutes nationalités confondues, partage de tout ce qui pouvait l’être, comme les vêtements de mon arrivée, mais aussi de plantes, de graines, d’idées... ou simplement d’amitié.

Le regroupement des cargos

Le système de mouillage des bateaux avait commencé à changer dès le début de mon séjour sur les lacs Amers.
Le Nordvin, Allemand lui aussi, s’était mis à couple du Munsterland, et les deux cargos s’étaient mouillés tête bêche. Leurs deux cloches réunies sonnèrent ensemble l’appel des « fidèles » du dimanche.
Les deux Polonais, le Djakarta et le Beyrouth, de la même compagnie étaient déjà réunis, comme le Nippon et le Killara des Suédois.
Ils avaient été renommés Djakber pour les Polonais, et Nipara pour les Suédois.
Les deux cargos Suédois rejoignirent les Allemands à leur tour, employant la même technique de mouillage et les quatre bateaux prirent alors le nom de Müwinikies , nom que l’on retrouve sur l’un des timbres de la GBLA.
Les deux Anglais de la Blue Funnel, l’Agapénor et la Mélampus s’assemblèrent eux aussi, devenant l’Agalampus, mes souvenirs sont plus vagues pour le cargo mixte Port Invercargil et le Scottish Star.
L’Américain, dernier membre de l’équipage de l’African Glenn, avait abandonné son navire aux premiers jours de mon arrivée.
Ces regroupements qui avaient bien sur un but d’économie réduisaient de mois en mois le nombre des marins présents sur les lacs Amers.

Relations avec les autres bateaux

Le canot était bien pratique pour rendre visite aux équipages de tous ces bateaux.
Le Killara des Suédois effectuait voyage inaugural quand il a été immobilisé dans les lacs. J’avais été invité plusieurs fois à diner à bord, mais, peut être l’ambiance Nordique, je ne m’y suis jamais senti très à l’aise.
L’accueil était différent sur les bateaux Polonais, ou les gens étaient plus expansifs.
Les Polonais avaient un jeune médecin à bord, peut être en premières années de médecine ou tout simplement un bon infirmier, mais sa présence était rassurante, très sympathique, il nous rendait souvent visite sur le Sindh.
Les plus malheureux sur rade étaient sans contestation les Bulgares du Vasil Levski, sans électricité, leurs conditions de vie étaient très dures.
Pas de froid pour la conservation des aliments,(ils n’avaient pas grand-chose à conserver) pas d’eau courante… pas de cinéma, alors qu’ils avaient un important stock de films à bord, certains en version Française qu’ils nous prêtaient volontiers.
En retour, nous leurs apportions quelques bouteilles ou vivres qu’il fallait cacher, le commandant refusait ces cadeaux, peut être par fierté, ou simplement par peur d’un commissaire politique, il fallait ruser pour qu’ils parviennent à l’équipage.
On ne les voyait pratiquement jamais sur les autres bateaux, j’avais trouvé leur moyenne d’âge beaucoup plus élevée que celles des autres marins sur rade, mais ce n’était peut être qu’une impression.
La vie à bord du Sinh qui était loin d’être un bateau récent en 1969, n’avait rien à voir avec celle de nos collègues Bulgares, et voir leur dénuement était attristant.
La veille de mon retour pour la France, j’avais fait la traditionnelle tournée de ramassage du courrier, et seul, le commandant Bulgare avait refusé de donner à son équipage l’autorisation de me confier ses lettres

Blocage dans le canal de Suez
Blocage dans le canal de SuezBlocage dans le canal de Suez

Le Sindh prisonnier dans le Grand lac Amer, le quotidien d’un équipage de 12 hommes au jour le jour

Les travaux d’entretien et de maintenance

Sur le Sindh, le travail du bosco, comme le mien était géré au jour le jour, il se bornait à l’entretien et la maintenance de ce qui était vital pour le bateau.
Jean Vidament, le Bosco, avait entrepris de boucher les trous du pont sur le gaillard, ou la rouille avait perforé les tôles.
Les moyens étaient faibles pour effectuer des réparations efficaces. Il n’y avait pas de poste de soudure à l’arc sur les 8300 et je crois me rappeler de l’utilisation du brai de calfatage des lames du pont en bois pour assurer l’étanchéité.
La visite d’un groupe électrogène avec un personnel réduit demandait un peu d’organisation.
Si j’assurais seul les démontages, remontages contrôles et remplacements divers, mes compagnons qui assuraient le quart, m’aidaient pour les serrages et desserrages des culasses, travail impossible à faire seul sans une clé démultiplicatrice d’effort, ils s’occupaient ensuite du reconditionnement des culasses.
J’avais contourné la difficulté du remontage des têtes de bielles seul, par un bricolage qui prenait appui sur les parties basses des portes de carter.
Il permettait de les élever en limitant l’effort pour assurer leur mise en place, le virage du moteur faisant le reste.
J’avais récupéré un lot de couvertures blanches des officiers, mangées par les mites, destinées à passer par-dessus bord.
Pliées en plusieurs épaisseurs, elles me permettaient de travailler sur le parquet en toutes positions, dans un grand confort.
Des couvertures blanches comme tapis dans une machine, le grand luxe…
Les cinq cylindres étaient contrôlés et remis en état en travaillant sur deux semaines, paliers, pistons, culasses et réfrigérants, sans oublier le régulateur qui nous avait joué des tours.
Travailler seul est une question d’habitude, et ce système me convenait parfaitement.
J’ai conservé mon cahier contenant les relevés de ces travaux, peut être les derniers sur le Sindh.

La pêche à bord

En dehors de ces travaux exceptionnels, la pêche avait une grande place dans nos loisirs, elle
donnait parfois de bons résultats.
Les Allemands nous avaient initiés au fumage du poisson.
Les carangues, que l’on trouvait dans ces eaux, une fois ouvertes étaient mise en saumure avant de passer au fumoir.
Ce fumoir était confectionné à partir d’un ancien fut à huile de deux cent litres.
Sa partie supérieure était ouverte et une porte à sa base permettait d’alimenter le foyer.
Une grille de protection de cargo (éclairage de cale), posée sur la partie supérieure du fût, recevait les poissons suspendus à des crochets. Le feu était allumé avec du bois, que l’on recouvrait ensuite de sciure. Cette sciure était initialement embarquée pour absorber les éventuels débordements accidentels de mazout ou d’huile).
Un sac de jute humidifié masquant le dessus du fût permettait de concentrer la fumée qui transformait les carangues, leur donnant une belle couleur dorée.
D’énormes mulets tournaient souvent autour du bateau, et le commandant De Vals m’avait demandé de lui faire une fouine. Confectionnée avec de l’acier à ressort, montée sur un manche en bambou il m’avait demandé d’en faire l’essai. Le radeau qui servait à peindre la coque, avait été installé à l’arrière du Sindh , suspendu à cinquante centimètres au-dessus de l’eau, il servait de plateforme pour l’amarrage des embarcations, son accès se faisait par deux échelles mises bout à bout. Miracle, car je ne suis vraiment pas doué pour ce genre d’exercice, j’avais capturé une superbe bête. Aucunes autres prises de mulets ne furent faites par la suite. Intelligence de ces poissons que l’on dit malins ?… preuve que ma prise n’était que le fruit du hasard !

Un incident du au mauvais amarrage d’Astérix le canot, avait pris une allure de drame.
Le canot était passé sous le planchon de coupée, le clapot était assez fort, et le capot en résine du moteur avait explosé. Plus grave le choc sur le volant magnétique avait provoqué la rupture des points de fixation des amortisseurs du moteur.
Sans lui, la communication et les échanges avec les autres bateaux devenaient plus difficiles, voire impossibles.
Astérix monté sur le pont devant la forge, ma première évaluation des dégâts rassura un peu les utilisateurs les plus assidus du canot. Après une reprise assez laborieuse des points de fixation du moteur, réparation qui avait pris un certain temps, j’avais pu passer à la confection d’un capot en tôle, de forme identique au précédent, récupérant le joint d’origine.
Icardi notre second mécanicien avait alors eu l’idée de personnaliser notre moteur, et une petite cheminée en tôle d’une douzaine de centimètres de hauteur, était venue surmonter le capot.
Capot blanc et cheminée noire…, on est Messageries ou ne l’est pas.

La guerre

Le calme de certaines journées pouvait nous faire douter que nos bateaux se trouvaient dans une zone de guerre, pourtant, il était rare que leur déroulement ne se fasse sans que l’on entende le bruit d’un canon, ou le passage d’un avion.
Ces tirs étaient souvent, concentrés sur la zone du Déversoir, de Kabret ou d’Ismaïlia.
Sur la rive Israélienne, le matin, on apercevait parfois un petit avion d’observation qui longeait la côte.
Jamais il n’a été inquiété, visiblement Israël avait la maitrise du ciel, et en quatre mois, jamais nous n’avons aperçu un seul avion Egyptien.
Les bateaux étaient mouillés coté Egypte, et le chenal marquait la limite de notre territoire.
Les plus anciens sur le canal racontaient qu’une baleinière, partie à la dérive s’était échouée coté Israélien.
Une tentative de récupération s’était soldée par l’expulsion via Londres de ceux qui avaient touché la rive. Ce qui arrivait sur la côte Egyptienne était coulé.
Les Israéliens tiraient parfois avec des pièces d’artillerie lourde, la trajectoire des obus passait au dessus des bateaux, et ils tombaient derrière Fanara, mais il était impossible de voir ce qui était visé, les impacts soulevaient des nuages de poussière.
Après ces séances de tir qui pouvaient s’étaler sur plusieurs heures, le grand calme revenait sur le lac.
Le soir sur le canal, coté Ismaïlia, des tirs à balles traçantes donnaient parfois des effets curieux, comme si, rencontrant un obstacle, certaines ricochaient et changeaient de directions, ces tirs étaient presque toujours accompagnés de fusées éclairantes
Les attaques aériennes étaient fréquentes.
La vue de ces avions arrivant de nulle part, se séparant pour cibler un objectif, au milieu des tirs concentrés de toute la DCA était un spectacle hors du commun.
Abdou notre policier de garde nous avait laissé entendre que c’était surtout les radars installés par les Russes qui étaient visés, précisant toutefois que c’était des faux radars, les vrais étant bien cachés !
Une attaque de nuit avait été encore plus impressionnante, avec l’arrivée des chasseurs bombardiers rasant les bateaux pour se protéger.
Ces bombardements avaient durés près d’une heure ou il avait été impossible de savoir si de nouveaux avions arrivaient d’Israël ou si les mêmes refaisaient des passages dans la zone des mouillages.
Une heure de bruit infernal avec le vol à basse altitude, mais aussi le tir saccadé de la DCA de tous calibres, et les explosions des bombardements.
Les canons de DCA de petit calibre avaient des projectiles traçants, les obus des calibres plus important explosaient dans le ciel, et les fusées éclairantes illuminaient le lac et les bateaux, paysage irréel.
Depuis ce jour je ne regarde plus les spectacles de pyrotechnie avec les mêmes yeux.
Plusieurs sortes de munitions étaient sans doute utilisées par ces avions, si pour certaines on entendait de fortes explosions de bombes ou de rockets, pour d’autres, après les tirs, on voyait une bande de feu se dérouler au sol comme un tapis.
Il y avait pourtant des hommes qui se trouvaient sous ce déluge et comment ne pas penser à eux.
Une relève avait eu lieu les jours précédents cette attaque, et certains nouveaux embarqués étaient affolés.
Le lendemain, le Munsterland nous avait signalé que quelques éclats étaient retombés sur son pont.
Cette attaque avait heureusement été la seule de cette forme, de cette ampleur et si proche de nous. Je crois qu’il était interdit aux Egyptiens et Israéliens d’agir de cette manière, et de se servir de nous pour se protéger au cours de leurs attaques.

Blocage dans le canal de Suez
Blocage dans le canal de Suez

(Suite)

Le Sindh prisonnier dans le Grand lac Amer, le quotidien d’un équipage de 12 hommes au jour le jour

Le jardinage à bord

Contraste avec ces actes de guerre, trois « jardins » avaient été créés sur le Sindh pendant mon séjour.
Le premier avait été réalisé par le commandant De Vals sur le pont à l’arrière de la passerelle. Tous les récipients disponibles, caisses, gamelles et autres ustensiles, remplis de sable ou de sciure, hébergeaient toute une végétation, que l’on avait rarement l’habitude de voir dans un jardin d’agrément.
Lentilles, pois chiches, fèves, mais aussi basilic, oignons, gazon…tout ce qui pouvait verdir en poussant était utilisé. Deux vasques dotées de jets d’eau agrémentaient l’ensemble.
Ces vasques étaient des cargos d’éclairage de cales dont le second mécanicien avait bouché les fonds, l’eau arrivait par de petits tuyaux, alimentés en eau salée par le circuit des sanitaires. (très vite abandonné pour économiser la pompe hydrophore eau salée des toilettes)
Les deux autres jardins étaient celui du second et le mien. Celui d’Icardi occupait le coin de pont bien abrité près de la cabine du chef dans la coursive extérieure bâbord, le mien se trouvait devant ma cabine un peu plus loin dans la même coursive. Mes plantations étaient faites dans des bacs en bois exotique récupérés dans la cargaison de la petite cale. Un banc à dossier, du modèle de celui que l’on trouve dans les squares, et deux palissades en treillis en faisait un coin de verdure très reposant. Abdou nous ramenait quelques plantes de ses courtes permissions, le gazon venait d’un bateau Anglais et tout ce qui pouvait avoir une chance de pousser et verdir était planté. La terre était remplacée par le sable des sacs qui servaient en protection de la passerelle au Viet Nam, pendant les remontées et descentes la rivière de Saigon, et par de la sciure, l’eau faisait le reste.

La vie à bord

Si les vivres n’arrivaient pas à bord de façon régulière, Fanfan, notre cuisinier, très débrouillard, excellent cuisinier et gestionnaire ne nous avait jamais laissé manquer de rien.
J’ai mangé des dates fraiches pour la première fois sur ce bateau. Les fruits et légumes venaient de la production locale, et étaient de bonne qualité. Fanfan, qui avait la bosse du commerce, faisait des échanges avec les autres bateaux, échanges qui amélioraient parfois notre menu.
Les amateurs de pastis et de whisky ont toujours été régulièrement approvisionnés, et le vin Egyptien rouge ou blanc Gianaclis en bouteilles était excellent.
Du vin de messe(?) de la même production avait même fait partie d’une livraison.

Les assurances avaient demandé plusieurs démontages sur des points précis du MP, contrôle des soies du vilebrequin entre autre pour détecter des traces d’oxydation.
Ces travaux, exécutés avec le second, permirent de constater un excellent état des parties visitées.

Embarqué au mois d’aout, j’avais pu pratiquer la natation jusqu’au mois d’octobre, mais l’automne qui avançait avait rendu ce sport moins agréable, car le vent pouvait devenir parfois assez fort.
René Meunier, matelot copain de longue date faisait partie de la nouvelle équipe avec Pascal Vescovali, le boulanger, et le changement de la relève, parfois difficile à vivre pour ceux qui restent n’avait pas été trop dur à supporter grâce à eux.
Sur le lac, le courrier fonctionnait de manière assez irrégulière, et certaines lettres étaient ouvertes par la censure. La voie la plus sure pour acheminer le courrier vers la France était de le confier à un débarquant, qui le postait ainsi en arrivant en Europe.
Les enveloppes étaient surchargées de timbres confectionnés à bord, certains étaient superbes, ceux du Sindh étaient réalisés par Icardi notre second.
L’autre voie était celle de l’agent de la compagnie mais ses visites étaient irrégulières.
Lors d’une période de relève, l’absence complète de communication avec l’extérieur, sans nouvelles de la compagnie alors que la date de cette relève avait été largement été dépassée, le commandant De Vals exaspéré nous avait réunis au bar passagers et ses propos nous avaient surpris.
Ses propositions étaient de nous échouer coté Israèlien, ou de forcer le passage coté Suez, pour nous accéder à la mer Rouge…
L’arrivée de la relève avait coupé court à ses intentions.
Homme déterminé, un peu tête brûlée, je pense qu’il aurait été jusqu'au bout de ses idées.

Quelques revues nous parvenaient, envoyées par le comité d’entreprise, elles étaient sans doute lues et relues par les censeurs avant d’arriver à bord.
Quelques films étaient acheminés par le même canal, mais la plupart de ceux que nous passions à bord étaient prêtés par les autres bateaux.
Certains repassaient régulièrement, le plus vu, un film avec De Funès « Jt’aurai blaireau », parodie de la joyeuse prison de Pont l’Evêque avait battu tous les records.
Les séances avaient lieu sur le pont, à l’arrière du carré des officiers.
Un jour, le projecteur vieillissant, un pignon d’entrainement usé nous avait joué un tour, installé à l’aplomb de la rambarde, il nous avait débité une bobine à l’étage inférieur, et c’est long un film…
Ce petit incident m’avait amené faire un essai, en vue d’une réparation éventuelle, expériences que je n’aurais jamais sans doute tentée ailleurs que sur le Sindh ou le temps n’était pas compté : couler de l’aluminium.
Il ne manquait pas de charbon à la forge, un creuset improvisé dans un capuchon en acier de l’une des bouteilles de gaz avait été rempli de morceaux d’alu provenant de cafetières du bord.
Chauffé à la forge, j’avais réussi la coulée d’un petit lingot dans une boite à cigares Panther qui avait servi de moule.

Une nouvelle fois, un mauvais amarrage avait failli nous priver définitivement du canot.
La nuit tombait et à la vue d’Astérix partant à la dérive, fort de mon entrainement quotidien, j’avais immédiatement plongé pour aller le récupérer.
J’allais avoir trente ans, assez bon nageur fort de mon entrainement quotidien, j’avais agi sans réfléchir.
L’embarcation en travers du vent, s’éloignait à une vitesse imprévue.
Elle était déjà très loin quand j’avais réussi à la rejoindre et à monter à bord.
Le temps de la mettre à l’eau et la baleinière, avec le bosco et mon copain René Meunier arrivait à ma hauteur au moment ou je démarrais le moteur.
Il faisait nuit et le Sindh était assez éloigné.
Arrivés vent arrière, il n’était pas question pour eux de tirer des bords pour rejoindre le bateau, Obélix en remorque, inutile de dire qu’à mon arrivée à bord, je me suis fait sermonner avec juste raison.
C’est en rentrant je me suis rendu compte de la distance parcourue et mesuré mon
imprudence, j’étais jeune.

Blocage dans le canal de Suez
Blocage dans le canal de SuezBlocage dans le canal de Suez

Suite et fin

Le Sindh prisonnier dans le Grand lac Amer, le quotidien d’un équipage de 12 hommes au jour le jour

Passer quatre mois au mouillage, n’avait rien de comparable avec un embarquement normal. Il fallait à tout prix ne pas tomber dans l’ennui de cette vie plutôt monotone.
La vie à bord avait changé avec l’arrivée de l’automne, les repas étaient à nouveau pris à l’intérieur et le commandant et le second avaient retrouvé leur carré.
Entrer dans la nouvelle saison changeait les habitudes prises pendant les beaux jours.
Un séjour complet passé en hiver devait certainement être moins agréable pour un équipage.
Nous avions tous dans nos cabines, un poste radio provenant des cales, obtenir un poste, ou tout autre appareil était une question de relations avec nos collègues des autres bateaux.

Sur le Sindh, j’avais tout mon temps pour assouvir ma passion pour bricolage, trouver une occupation même futile était le moyen le plus sur pour lutter contre l’ennui. Une tentative pour remettre en état l’ancien moteur hors-bord Mokba (peut être Moscou en Russe ?) avait échoué, faute de pièces de rechange pour l’allumage.
Un vieux vélo trouvé à bord, comment était-il arrivé là, m’avait donné l’idée de faire un pédalo dont la construction s’était arrêtée au premier flotteur par la fin de mon séjour sur le lac.

Grâce à de multiples occupations, mon passage sur le Sindh s’était plutôt bien passé, le temps ne m’avait pas paru long.
Je ne connais pas les critères utilisés par la compagnie pour faire le choix des embarquant, mais la solde était quand même particulièrement attractive, et il y avait parait-il beaucoup de volontaires.
J’étais célibataire à l’époque, mais certains de mes camarades étaient mariés.
Je ne pense pas que ce séjour ait été imposé à quiconque.
Les plus à plaindre ont sans doute été les membres d’équipage présents à bord au début de la guerre et ceux des premières relèves, les choses se sont normalisées par la suite.
Le fait d’avoir un groupe en fonction en permanence, nous assurait un certain confort.
Si les moments vécus étaient exceptionnels, nous-mêmes n’avons fait qu’assurer le service comme nous l’aurions fait sur n’importe quel autre bateau de la compagnie.
Nous pouvions prendre le temps de faire les choses, et je pense que nous avons fait du bon travail.
L’ambiance sur un bateau dépend souvent du groupe qui se forme, et le nôtre, sans histoires, était sans doute la raison des excellents souvenirs que j’ai gardé de ce séjour.
J’ai lu sur d’anciens messages que des gens embarqués sur le Sindh s’étaient ennuyés, mais même sur les meilleurs bateaux, les meilleures lignes de la compagnie le sentiment d’ennui arrivait à se manifester chez certains.
Cette expérience pouvait être très enrichissante pour celui qui s’efforçait de s’adapter à cette vie un peu spéciale.

Le retour

A l’heure du retour, après le traditionnel tour des bateaux du lac pour collecter le courrier j‘ai fait mes adieux à ceux que j’allais laisser derrière moi avec un petit pincement au cœur, ces mois passés ensembles avaient créés des liens.
La vedette Egyptienne m’avait conduit à Fanara, ou après un dernier regard sur la flotte au mouillage nous avons pris la direction de Suez.
La route d’Ismaïlia toute droite, traverse une zone désertique, le chargement d’un blindé sur un porte char nous avait immobilisé, alors qu’une attaque aérienne avait lieu sur le canal, l’agent et son chauffeur étaient vert de peur, et je n’ai pas compris pourquoi ils étaient resté à proximité du char avec la voiture, car je pense que l’ensemble, immobilisé en terrain découvert aurait pu faire une très belle cible.
Le passage au point de contrôle d’Ismaïlia avait été rapide, et je suis arrivé à l’hôtel Omar Kayam au Caire ou j’ai passé ma première nuit à terre depuis quatre mois passés sur le lac.
Vol direct cette fois pour le retour à Orly, ou mes parents qui habitaient la région Parisienne m’attendaient.
A la poste, la vue d’une soixantaine de lettres, décorées de vignettes fantaisistes, avait fait bondir le préposé du guichet, et l’intervention du receveur avait été nécessaire pour poster le précieux courrier.
Quelques semaines plus tard, mon embarquement sur l’Indus m’avais fait retrouver une navigation plus classique.

Voilà, j’ai essayé de transcrire ces souvenirs de mon passage sur le Sindh le plus fidèlement possible, ce ne sont que des moments de notre vie quotidienne, je pense avoir une assez bonne mémoire, mais j’espère que de futurs récits viendront les recouper.
Le commandant de Vals nous a quitté je crois, Lucien Funk aussi. J’ai appris cet été que Fanfan Rotella nous avait quitté à son tour. Les Dunkerquois me donneront peut être des nouvelles de Daniel Vérove et de Jean Vidament. Pascal Vescovali doit être avec son frère Joseph à l’Ile Rousse. J’avais revu mon copain René Meunier à Marseille. J’aurais aimé retomber sur un bateau avec Paul Icardi …
Si mes anciens camarades du Sindh me lisent, qu’ils sachent que je serais heureux d’avoir de leurs nouvelles, j’entre dans ma soixante seizième année, mais je ne les ai pas oubliés.

Daniel Guimond

Les bateaux prisonniers

Les 14 bateaux stationnés dans le grand lac Amer, avaient été appelés par les médias
La Yellow Fleet La Flotte Jaune, couleur de la poussière du sable désert.

Le Sindh cargo Français qui deviendra Norvégien,
L’ African gleen cargo Americain et sera rebaptisé essayons
le Lednice caboteur tchèque
l’Agapénnor
le Mélampus
le Scottish Star cargos Anglais
le Vassil Levsky cargo Bulgare
le Port Invercargill cargo mixte Anglais
le Nipon
le Killara cargos Suédois
le Munsterland
le Nordwin cargos Allemands
le Djakarta
le Boleslaw Beyrout cargos Polonais

La situation et composition des équipages avait évoluée dans le temps sur le canal de Suez
La première, la prise du bateau en otage dans le grand lac Amer.
La seconde, les premières relèves avec un équipage complet ou presque, avec espoir de sortie rapide du bateau du canal.
La troisième, l’abandon, équipage réduit à 12 hommes, oubliés, aucun moyen de communication avec la terre, si ce n’est les pavillons dans la mature, poste de radio sous scellé avec un militaire de garde en permanence à bord.
Il fallait se débrouiller avec ce que l’on avait, règne de la débrouille.

Blocage dans le canal de SuezBlocage dans le canal de Suez
Blocage dans le canal de Suez
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